C’était hier matin, et elle pleurait. Une fille, quand elle est attaquée et qu’elle peut pas se défendre, elle pleure. Un mec, lui ça devient agressif et ça crie. Mais pas sur le mec qui l’a stressé, non, surtout quand l’autre est plus fort que lui. Alors il prend le premier venu qui passe, surtout s’il peut pas se défendre, et il lui gueule dessus. Ou alors sur une fille, parce qu’une fille ça pleure, mais ça se défend pas.
Et donc lui il criait, et elle, elle pleurait. Il criait parce que c’est dingue dans cette putain de boite de ne pas pouvoir mettre une équipe de quatre personnes dans le même openspace. Et elle, elle pleurait parce que merde, c’est quand même son bureau et qu’on n’a pas le droit de lui demander de dégager comme ça.
Je vous en parle parce que c’est pas la première fois dans les openspaces que je vois une femme pleurer, ou un mec crier, ou un mec crier sur une femme qui pleure. Alors je vais lâcher un gros mot : je vais vous parler de RPS ou Risque Psycho Social.
Un RPS, c’est pas seulement un mec qui gueule sur une fille, c’est aussi un mec qui gueule sur un autre mec juste pour lui mettre la pression. Ou alors, c’est une fille qui gueule sur son mec qui passe ses soirées et ses vacances à bosser pour sa boite au lieu de s’occuper d’elle.
Mettre la pression, quand c’est un RPS, ça s’appelle du harcèlement moral. Le mec, plus il te met la pression, moins tu peux travailler correctement, et moins tu peux obtenir les résultats pour lesquels il te met la pression. Obtenir l’inverse de ce qu’on cherche, ça doit être ça le coté moral de l’histoire. Moi, j’aurais plutôt appelé cela le harcèlement amoral ou immoral.
En fait, sa pression, le mec, il ferait mieux d’aller la chercher au bistrot. Si on envoyait tous les metteurs de pression au bistrot, les autres pourraient enfin travailler correctement. Mieux encore, après trois ou quatre pressions justement, il pourrait leur venir l’idée délirante qu’aider leurs collègues et collaborateurs au lieu de leur crier dessus, ça pourrait être plus efficace.
Mais voila, être « psychosocial », ça classe un risque, comme être « de Garenne », ça classe un lapin. Et on se gargarise du mot psychosocial style « je viens d’assister à un risque psychosocial » qui fait mieux que « c’est l’histoire d’un mec qui crie et d’une fille qui pleure ».
Et on ne s’arrête pas là. On crée des grilles d’analyse RPS, l’entreprise prétend se mobiliser pour améliorer le bien être de ses salariés et vous rajoute de nouveaux objectifs dits de convivialité. J’imagine les discussions à la machine à café : « je me suis fait gratter une partie de ma prime parce que j’ai pas atteint mes objectifs de convivialité ».
Et, cerise sur le gâteau, on a même créé un observatoire des risques psychosociaux pour pouvoir repérer les mecs satellisés à force d’inventer n’importe quoi sur le sujet. Sauf que tout ça se produit un peu trop souvent, et revient à ma mémoire la petite fille de Claude Nougaro :
« Seulement il y a la vie, et le moment fatal ou le vilain qui crie tue le prince charmant » …
Une petite fille en pleurs, dans une boite en crise, et moi qui cours après?